Té­moi­gnage de Ma­ria, d’U­kraine

« Bon­jour, je m’ap­pelle Ma­ria, je viens de la ville de Ma­riou­pol, en Ukraine.
Au­jourd’­hui est une date par­ti­cu­lière pour moi : le 4 avril 204, soit exac­te­ment deux ans de­puis mon ar­ri­vée en Bel­gique.
Au­pa­ra­vant, je me­nais une vie or­di­naire, je tra­vaillais comme res­pon­sable du per­son­nel, je pla­ni­fiais des va­cances, des fêtes avec ma fa­mille, j’a­vais de nom­breux col­lègues et amis.
Je sa­vais ce qu’é­tait l’é­mi­gra­tion, mais je ne connais­sais pas ses cou­leurs et ses nuances, ses dou­leurs et ses dif­fi­cul­tés. Je n’aurais ja­mais pu ima­gi­ner que je sui­vrais ce che­min. Ap­prendre à par­ler, ap­prendre de nou­velles règles et lois, ap­prendre tout à nou­veau pour une nou­velle vie.
À Ma­riou­pol, pen­dant les bom­bar­de­ments, nous avons as­sis­té à une guerre san­glante et nous avons éga­le­ment vu com­ment les gens changent en rai­son de la peur du dan­ger, de la perte d’espoir et du mal­heur.
Nous avons pu par­tir et, grâce à des bé­né­voles. Nous nous sommes re­trou­vés en Bel­gique.
Une se­maine au­pa­ra­vant, nous étions dans un autre monde, nous par­ta­gions du pain ; la mon­naie la plus pré­cieuse était la nour­ri­ture, l’eau et la cha­leur.
Ici, nous avons été ac­cueillis avec cha­leur et at­ten­tion. À tous les ni­veaux où nous de­vions ré­soudre nos pro­blèmes, nous avons vu une vo­lon­té de nous ai­der et de nous sou­te­nir.
Au fil du temps, les pro­blèmes liés aux do­cu­ments et à la vie quo­ti­dienne ont été ré­so­lus.
Mais ce qui est très im­por­tant pour chaque ex­pa­trié, c’est de créer une nou­velle ver­sion de lui-même.
Trouve-toi !
On me dit sou­vent : « Tu es vi­vante, ré­jouis-toi ! ».
Mais quand la mé­moire d’une per­sonne est ef­fa­cée, quand tout et tous ceux qui lui sont chers lui sont en­le­vés, son tra­vail, sa mai­son avec une cui­sine confor­table, ses amis, son en­droit pré­fé­ré dans la ville, alors il se­ra per­du et il n’au­ra plus rien à faire.
Com­ment être heu­reuse quand tu es seule et que tu as per­du toutes les pe­tites choses qui comptent pour toi : les amis, le tra­vail, la mai­son…
Je sou­haite à chaque émi­gré for­cé de se créer une nou­velle vie bien rem­plie. Le tis­sage de ces fi­lets nous unit et crée de nou­veaux liens pour notre ave­nir. »

Мария Слабинская